Jean-Christophe Audonnet (IMI) : « Le risque est de ne pas avoir les capacités industrielles pour produire ces vaccins »

25 mars 2020

Ce spécialiste de virologie et de microbiologie coordonne le projet ZAPI (Zoonoses Anticipation and Preparedness Initiative) au sein du consortium européen public/privé Innovative Medecines Initiative (IMI)*. L’objectif du projet, lancé en 2015 pour cinq ans, est de développer une méthodologie capable d’aider à produire des traitements contre une maladie infectieuse en huit à douze semaines. Ce chercheur travaillant pour le géant pharmaceutique allemand Boehringer Ingelheim pose un regard critique sur la multiplication actuelle des projets de recherche en France et en Europe.

POC Media. L’IMI a lancé un appel à projets début mars pour lutter contre le Covid-19, et financé à hauteur de 45 millions d’euros. Quelles sont ses priorités ?
J-C Audonnet. Le call a spécifiquement exclu les vaccins, car le CEPI** le fait déjà. Le CEPI finance de nombreux projets en partenariat avec des entreprises biotechs. On peut se demander s’il est opportun de financer des vaccins contre un virus qui peut disparaître demain. Le call IMI est plus intelligent, il demande des projets dont les résultats pourraient être plus « durables » et pourraient protéger les populations contre la majorité des coronavirus pouvant infecter les humains.


« La situation finira probablement par bouger, mais après les dégâts »


Les projets sélectionnés pourraient apporter des réponses face à l’urgence de la situation actuelle ?
L’appel s’inscrit sur le temps long, mais l’objectif est de délivrer des connaissances pratiques, et un produit qui fonctionne le plus vite possible. Les projets pourraient, par exemple, permettre d’identifier des anticorps qui bloquent la majorité des coronavirus de cette famille de SARS. Nous aurions ainsi un outil universel. Il faudrait, par contre, qu’un industriel prenne le relais à l’issue de ces travaux, et que les barrières réglementaires soient levées. Le temps total de revue des données se compte en année. En temps de guerre biologique, la logique de sécurité maximum des médicaments ne fonctionne pas. La situation finira probablement par bouger, mais après les dégâts.

Quelles mesures faudrait-il prendre pour accélérer le transfert des recherches vers le stade clinique ?
Cela impliquerait de réunir la dream team des chercheurs, de prendre les traitements qui existent déjà pour d’autres virus et de lancer rapidement des tests. C’est un pari, et qui n’est pas sans risques, mais nous savons que ces traitements fonctionnent. Les autorités chinoises ont, par exemple, réalisé 35 essais cliniques, avec différents composés. Ils ont ratissé très large.


« Avec ZAPI, nous avons développé une boîte à outils flexible pour réagir à tout type d’agression virale »


Comment votre travail au sein du projet ZAPI aide-t-il la recherche contre le Covid-19 ?
Dans le projet IMI ZAPI, nous avons conçu une méthodologie et mis en œuvre des démonstrateurs industriels à grande échelle contre trois types de virus, le coronavirus Mers, le virus de la vallée du Rift, et le virus de Schmallenberg, pour lesquels nous avons pu développer des vaccins et des anticorps efficaces. Pour la cible du virus Mers, nous avons en particulier trouvé des anticorps qui fonctionnent contre d’autres coronavirus. Avec ZAPI, nous avons développé une boîte à outils flexible pour réagir à tout type d’agression virale.

Ces outils pourraient-ils être utilisés aujourd’hui contre le Covid-19 ?
Oui, les équipes universitaires partenaires du projet ZAPI se sont repositionnées sur cette nouvelle cible. Elles participent ainsi à l’appel à projets H2020 lancé début février par la Commission européenne. La Commission a sélectionné 17 projets, pour un montant total de 47,5 millions d’euros. Deux de ces projets sont coordonnés par des partenaires du projet ZAPI : MANCO et SCORE. Le risque est de ne pas avoir les capacités industrielles pour produire ces vaccins et ces anticorps.

Les industriels ne seraient pas prêts à produire massivement un vaccin contre le Covid-19 ?
Ce n’est pas certain. Le problème s’était posé lors de la création du vaccin contre Ebola par Merck. Il s’agissait d’un vaccin complexe à produire et à distribuer (stockage à – 80°), et il aurait fallu trouver une autre technologie vaccinale. Aujourd’hui, si 20 à 30 % du personnel d’un centre de production de vaccins était contaminé, le site ne pourrait pas produire. Il faut donc anticiper ce genre de contrainte. C’est un autre objectif de la méthodologie créée par ZAPI : pouvoir produire des vaccins de manière massive en simplifiant les technologies de production.

La démarche de l’IMI s’ajoute à l’appel à projets H2020, lancé début février. Sans compter les différents appels au niveau national. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de diviser les forces ?
Oui, ils ont tendance à disperser les chercheurs sur trop de thématiques, même si ces différents appels n’ont pas les mêmes budgets et objectifs. C’est un peu décevant qu’il n’y ait pas de coordination au niveau européen. À côté, les États-Unis dépensent des dizaines de millions de dollars.

Propos recueillis par Florent Detroy

*L’Innovative Medicines Initiative a été créé en 2007 à l’initiative de la Commission européenne et de l’EFPIA, afin de renforcer la compétitivité de la recherche pharmaceutique européenne. Son budget sur la période 2014-2020 était de 3,3 milliards d’euros, dont 1,3 du programme européen H2020.

**La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI): Le consortium public/privé CEPI créé en 2017, fondé par plusieurs gouvernements en association avec la Fondation Bill & Melinda Gates notamment, a lancé dès le 30 janvier un appel à projets international destiné à financer des projets de vaccins contre le Covid-19.

Ce qu’il faut retenir :

  • IMI a lancé un appel à projets sur les antiviraux, les anticorps et les diagnostics financé à hauteur de 45 millions d’euros
  • Le CEPI a lancé un appel à projets parallèle privilégiant le développement de vaccins
  • Deux partenaires académiques de l’IMI participent à l’appel à projets H2020 de la Commission européenne lancé en janvier


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