La start-up P-layer conçoit un vitrage intelligent autonome et pilotable
Nombre d’avancées scientifiques et technologiques sont le fruit de l’inattendu et du hasard. Tout aussi « fortuite » a été la découverte, par des chercheurs de l’Université de Strasbourg, d’un verre opacifiant, autoalimenté et producteur d’électricité. Une innovation que la start-up P-layer souhaite industrialiser et commercialiser dans les années à venir.
Tout démarre au laboratoire ICube de Strasbourg avec la thèse de Thomas Regrettier, réalisée sous la direction de Thomas Heiser, dans le cadre d’un programme de recherche avec Malgosia Kaczmarek de l’Université de Southampton. L’objectif des travaux est alors de remplacer les semi-conducteurs inorganiques par des semi-conducteurs organiques au sein des modulateurs optiques à base de cristaux liquides, pour améliorer leurs performances.
Alors qu’ils ne s’attendaient pas à cela, les chercheurs observent « une réponse des cristaux liquides sans apport d’électricité externe », indique Sadiara Fall, du laboratoire ICube et à la tête de P-layer. « La couche photovoltaïque crée la tension nécessaire pour changer l’orientation des molécules de cristaux liquides nématiques », ajoute-t-il. La décision est prise d’appliquer ce résultat au domaine du vitrage dit « intelligent ». Associés à des polariseurs, les cristaux permettent en effet d’opacifier la fenêtre en fonction de l’intensité lumineuse. Un brevet est déposé en 2017 pour protéger cette invention qui combine couche de cristaux liquides et cellule photovoltaïque au sein d’un dispositif unique autoalimenté.
De la R&D pour une meilleure transparence
En plus de ne pas dépendre d’une alimentation électrique extérieure, la solution est pilotable (marche/arrêt), peut s’appliquer à différents types de verre – grands vitrages comme lunettes – et permet une opacification localisée. « Si le rayon lumineux atteint seulement une partie du verre, les électrons vont être générés à cet endroit-là et seuls les cristaux liquides de la zone vont changer d’orientation », expose Sadiara Fall. Enfin, l’électricité photovoltaïque produite peut également être réinjectée dans le réseau. « La puissance est limitée (30W), mais combinée à l’opacification de la vitre qui s’adapte à l’ensoleillement, vous pouvez économiser jusqu’à 75 % de votre consommation énergétique », déclare le CEO de P-layer.
Pour rendre acceptable une telle technologie et la commercialiser, la transparence du verre « intelligent » doit se rapprocher le plus possible de celle d’un verre normal. Au stade actuel de développement, une teinte « verdâtre » est toujours présente, d’où la nécessité de mener encore de la R&D. Réalisée avec la Satt Conectus, la prématuration a permis de concevoir des prototypes fonctionnels. « D’ici à la fin de l’année, nous aurons un prototype de 400 centimètres carrés avec les niveaux de transparence requis », indique Sadiara Fall. Pour passer à plus grande échelle, des rapprochements avec des industriels seront aussi nécessaires. « C’est une nouvelle technologie qui demande une ligne de production adaptée », ajoute le chercheur-entrepreneur, qui espère pouvoir monter une ligne pilote non automatisée d’ici à deux ans.
Des recherches de financements publics et privés
Incubée au Semia, P-Layer vient d’intégrer le programme RISE du CNRS pour continuer à se structurer. Pour financer son développement, la jeune pousse est à la recherche de 300 000 € en dilutif. Une somme à laquelle elle souhaite ajouter des financements publics, à l’image du concours i-Lab pour lequel elle va candidater. Les montants obtenus lui permettront, notamment, de renforcer son équipe, actuellement composée de deux permanents, rejoints dans les prochaines semaines par un troisième scientifique. Par ailleurs, Sadiara Fall est à la recherche d’un associé orienté « business », tout en s’imaginant pouvoir rester CEO. « J’ai suivi la starter class du Semia, les enquêtes de terrain, les rencontres avec les industriels. Je suis chercheur à la base, mais je me suis rapidement senti à l’aise dans ce nouveau rôle », conclut-il.
Réseau SATT
Le Réseau SATT fédère, en France, treize Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). Engagées dans le dynamisme économique grâce aux innovations scientifiques, les SATT apportent aux entreprises des solutions technologiques dérisquées, à fort potentiel, pour gagner en compétitivité. Avec plus de 700 start-up créées, les SATT sont les premiers acteurs de proximité du Plan Deeptech de l’État, opéré par Bpifrance. Elles sont connectées au quotidien à plus de 150 000 chercheurs et offrent un accès privilégié aux innovations des laboratoires publics. Fortes de leur réseau national, elles sont les partenaires stratégiques des entreprises en quête de croissance par l’innovation. Plus d’informations sur : www.satt.fr
— Crédit photo : Who’s Denilo ? (Unsplash)