Olivier Rolland (L’Oréal) : « un de nos objectifs est d’atteindre 95 % de matériaux biosourcés »
À travers son programme L’Oréal pour le futur, le groupe de cosmétique a amorcé un vaste plan de transformation de ses produits et de ses activités pour réduire globalement leur impact environnemental. Cette évolution amène le groupe à explorer de nouveaux domaines scientifiques. C’est une des raisons de l’arrivée d’Olivier Rolland, ancien directeur exécutif de Toulouse White Biotech, plateforme de recherche public/privé spécialisée dans les biotechnologies industrielles, au poste de directeur international strategic initiatives au sein de la recherche & innovation de L’Oréal. Il expose à POC Media les nouveaux axes de recherche pour amener L’Oréal et ses produits vers des modèles plus soutenables.
Pouvez-vous nous présenter les grands défis scientifiques auxquels L’Oréal est aujourd’hui confronté ?
Le groupe est calé sur les neuf limites planétaires identifiées par le Stockholm Resilience Centre (SRC). Ces limites sont un indicateur des niveaux d’exploitation au-delà desquels les ressources naturelles ne peuvent plus se régénérer. À partir de ces limites, nous nous sommes fixé vingt-six objectifs environnementaux et sociétaux à atteindre d’ici à 2030. Pour cela, nous devons être robustes d’un point de vue scientifique.
Quels sont les objectifs de L’Oréal ?
Il s’agit de transformer notre chaîne de valeur en amont, au niveau de la production des ressources naturelles et de leur transformation, puis en aval, dans la phase d’utilisation et de recyclage des produits. Un de nos objectifs est d’atteindre 95 % de matériaux biosourcés, issus de minéraux abondants ou de procédés circulaires d’ici à 2030. Aujourd’hui, nous sommes à 65 %.
Quelles difficultés ce nouveau défi engendre-t-il ?
Chaque produit utilisant un nouvel ingrédient sollicite une nouvelle chaîne de production. Si L’Oréal a un savoir-faire historique en interne en matière de formulation et de développement de cosmétique, l’entreprise n’est pas forcément intégrée sur toutes les chaînes. Le grand enjeu pour nous est d’aller chercher ces nouveaux ingrédients en mettant en place un « sourcing durable », donc en faisant évoluer toute la chaîne. À cette fin, nous pouvons nous appuyer sur nos fournisseurs habituels ou sur de nouveaux acteurs, comme des start-up.
Nos activités en matière de sciences vertes sont organisées autour de quatre piliers : extraction verte, chimie verte, biotech & fermentation, et culture durable
Olivier Rolland
Il faut donc faire aussi évoluer les pratiques de vos fournisseurs…
Oui, car nous ne souhaitons pas gérer toutes les étapes. C’est pourquoi nous nous présentons davantage comme un « enabler ». Par exemple, si nous utilisons un dérivé du riz, nous nous assurons de la durabilité de la chaîne de valeur jusqu’au producteur de riz, en favorisant des pratiques vertueuses en matière de la consommation d’eau, de l’usage de produits chimiques ou d’enjeux sociétaux. Ce cas-là nous a d’ailleurs amenés à promouvoir de nouvelles pratiques d’agroforesterie. Objectifs : encourager la diversification des revenus des agriculteurs, améliorer la biodiversité et limiter les émissions de méthane générées par les rizières en employant le système SRI (système de riziculture intensive). Nous menons la même démarche auprès des fournisseurs de vitamine C, que nous utilisons de plus en plus pour des produits anti-âge. Nous travaillons avec les fournisseurs pour rendre leur production plus durable.
Comment ces engagements se traduisent-ils dans la R&D de L’Oréal ?
Nos activités en matière de sciences vertes sont organisées autour de quatre piliers : extraction verte, chimie verte, biotech & fermentation, et culture durable. En ce qui concerne la formulation et la performance cosmétique des ingrédients, nous avons défini de nouveaux territoires scientifiques et identifié de nouveaux acteurs, comme les laboratoires de recherche.
Avez-vous des exemples de ces nouveaux types de collaborations ?
Sur le sujet du microbiome du sol, nous avons initié une collaboration avec l’Université de Singapour (NUS Singapore). L’initiative vise à trouver de nouveaux moyens d’améliorer la santé des sols et d’augmenter le rendement des plantes sans recourir à des terres supplémentaires ou à des engrais chimiques. Nous avons aussi travaillé avec le Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG), installé à Montréal, sur l’écoconception de nos produits. Nous avons ainsi développé l’outil SPOT (Sustainable Product Optimization Tool), afin de prendre en compte l’ensemble des facteurs d’impact, et de réduire l’empreinte globale.
Quelle place la recherche publique française occupe-t-elle dans vos collaborations ?
Nous avons déjà de nombreuses collaborations bien engagées. Par exemple, sur les ressources en « minéraux abondants », nous avons collaboré avec le BRGM pour mieux définir ce qu’est précisément l’abondance. Nous travaillons également avec le Ceebios (Centre d’études et d’expertises dédié au déploiement du biomimétisme), en France, afin de mieux comprendre les systèmes vivants. Nous avons même mis au point un index du biomimétisme, une méthodologie qui permet d’évaluer l’approche biomimétique pour le développement d’un produit.
Nous sommes déjà très proches de l’académique, et nous travaillons avec plusieurs laboratoires de recherche positionnés très en amont sur cette chaîne
Olivier Rolland
L’Oréal a-t-il la tentation de sourcer des projets de plus en plus tôt sur la chaîne de l’innovation ?
Nous sommes déjà très proches de l’académique, et nous travaillons avec plusieurs laboratoires de recherche positionnés très en amont sur cette chaîne. C’est le cas avec le LCPO (Organic Polymer Chemistry Laboratory, laboratoire de l’Université de Bordeaux et de Bordeaux INP), avec lequel nous avons formé un joint lab menant des recherches sur le développement de nouveaux polymères durables, biosourcés et biodégradables ; ce partenariat a généré des brevets et publications en lien avec l’application cosmétique. Mais pour réaliser notre transition verte, nous devons nous aventurer sur de nouveaux territoires scientifiques. Or, les niveaux de maturité des projets que nous découvrons sont parfois tellement faibles que nous devons nous positionner comme des enabler pour faciliter l’émergence de ces technologies.
Vous dirigiez la plateforme Toulouse White Biotechnology à Inrae, qui accompagnait des start-up dans leur développement. L’Oréal mène-t-il une stratégie spécifique avec ces nouveaux acteurs ?
Il existe un grand nombre de start-up. La question est surtout de savoir comment nous réussissons à travailler avec eux, une fois identifiés et sélectionnés. Nous avons déjà créé le Green Sciences Incubator, qui nous permet de rencontrer un grand nombre de start-up. Nous nous intéressons notamment à celles qui ne visent pas forcément le marché des cosmétiques, mais qui ont un potentiel. Nous finançons pendant un à deux ans une collaboration avec elles, en nous assurant aussi qu’il y a une valeur ajoutée pour chacun.
Avez-vous résolu cette question de la bonne méthode pour travailler avec une start-up ?
Nous nous sommes rendu compte qu’un acteur était souvent absent lorsque nous travaillions avec une start-up : l’industriel qui fournit les ingrédients. Nous avons ainsi développé un modèle tripartite, dans lequel le fournisseur joue le rôle de scale-up, ce qui permet de prendre en compte, dès la conception, les enjeux de production. Par exemple, nous avons formé récemment une joint venture avec Geno, une start-up américaine spécialisée dans le développement de molécules biotech pour produire des tensioactifs. Nous retrouvons dans notre accord de grands fournisseurs, comme Unilever.
Avez-vous un autre exemple d’une collaboration réussie ?
Celui de la start-up belge Botalisqui a développé une technologie de culture des plantes par hydroponie. Cela permet d’extraire des molécules sur la racine des plantes sans devoir les cultiver en champs et les arracher. Botalisqui avait développé cette technologie sur le ginseng, et nous nous sommes dit qu’elle pouvait être utile pour produire d’autres molécules. Elle a l’avantage de faire passer les temps de production de l’année au mois.