Stewart Cole (Institut Pasteur) : «la perte de vitesse de la France en recherche est assez tangible»
Stewart Cole, directeur général de l’Institut Pasteur
Le Sénat supervise depuis plusieurs semaines des séries d’entretiens avec les principaux acteurs de la recherche et de la recherche partenariale en France, dans le cadre de la mission d’information « Excellence de la recherche-innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » menée par les sénateurs Vanina Paoli-Gagin et Christian Redon-Sarrazy. Mardi 1er mars, Stewart Cole, directeur général de l’Institut Pasteur, et Isabelle Buckle, vice-présidente chargée des applications de la recherche et des relations industrielles, ont dressé un constat plutôt pessimiste de la situation.
La mission d’information que mène le sénat actuellement a pour objectif de comprendre pourquoi la France, pays fier de l’excellence de sa recherche, n’arrive pas à transformer cet atout en innovations et en produits capables de s’imposer sur les marchés européens ou mondiaux. « Nous pensons qu’avec ce que nous avons entre les mains, nous pouvons bien mieux faire », a ainsi rappelé Vanina Paoli-Gagin en ouverture de l’audition de l’Institut Pasteur.
Le directeur général de l’Institut a profité de cette audition pour dresser un bilan sévère de l’action de l’État et des différents acteurs de la recherche scientifique en France, en matière de recherche et d’innovation. Il a tout d’abord rappelé que « la perte de vitesse de la France en recherche est assez tangible ». La première raison est simple : la faiblesse des financements publics consacrés à la recherche fondamentale. Stewart Cole a notamment fait mention de l’écart entre les budgets dédiés à la recherche en santé aux États-Unis, 49 milliards de dollars en 2020 pour la NHS, la Suisse, 700 millions de francs suisses pour le Fonds national suisse, et 1,2 milliard d’euros pour la France via l’ANR.
Stewart Cole a mis en lumière deux autres problèmes majeurs : l’absence de goût du risque, tant du côté de la recherche publique que privée. « Les industriels attendent que les innovations arrivent du secteur académique, ou des start-up », a-t-il souligné. Enfin, la coordination des différents acteurs, de la recherche fondamentale jusqu’au marché, est critiquée, car elle manque de fluidité. Le nombre d’acteurs est trop important, et le financement trop restreint. Le directeur de l’Institut Pasteur a ajouté que ces problèmes n’étaient pas nouveaux, mais que les constats similaires qui peuvent être faits par d’autres ont rarement d’effets. « L’évaluation de Hcéres avait peu de conséquences : si elle montrait un bon fonctionnement, cela n’entraînait pas de hausse des crédits. Si elle pointait un mauvais fonctionnement, il n’y avait pas de baisse. Il faut être plus dynamiques pour avoir de nouvelles idées. »
Le modèle Institut Pasteur
En contrepoint, Stewart Cole a décrit les évolutions qu’il a introduites au sein de l’Institut Pasteur depuis son arrivée en 2017. Il s’est notamment appuyé sur son expérience à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) où il a découvert un modèle plus « agile et moins bureaucratique ». L’institut limite le nombre de ses projets de recherche pour y consacrer davantage de moyens. Une stratégie qui permet à l’Institut d’embaucher de jeunes chercheurs et de leur donner des moyens pour mener leurs travaux. L’Institut s’est également efforcé de fluidifier le « continuum » entre la recherche fondamentale et l’innovation. Il a ainsi créé des laboratoires d’innovation, un accélérateur de start-up, pris part à un start-up studio, et collabore avec le fonds Truffle capital pour financer certains de ses projets.
Nous avons été un des premiers au monde à déposer des brevets
Isabelle Buckle
La réactivité de l’Institut et sa capacité à créer des innovations se sont particulièrement révélées pendant la crise de la Covid 19. « Nous avons été un des premiers au monde à déposer des brevets », a rappelé Isabelle Buckle. Et l’Institut a monté, avec Truffle capital l’année dernière, la start-up Spikimm qui porte un projet d’anticorps monoclonaux contre la Covid 19. L’Institut Pasteur gère d’ailleurs de plus en plus ses innovations en mode « projets ». Isabelle Buckle a expliqué que l’Institut collaborait avec plus d’organismes de recherche, pour mettre en commun leur portefeuille de brevets. « Nous regardons comment les brevets que nous n’avons pas en commun pourraient renforcer certains projets », détaille la vice-présidente de l’institut.
Les recommandations de l’institut
L’Institut a relevé toutefois plusieurs dispositifs qu’il veut conserver. C’est le cas du dispositif Carnot. L’Institut Pasteur porte d’ailleurs l’institut Carnot « Institut Carnot Pasteur Microbes & Santé ». C’est aussi le cas du soutien au dispositif Cifre annoncé dans la Loi de programmation de recherche, et des laboratoires communs. Un point particulièrement important, alors qu’il existe peu de laboratoires communs en santé, a indiqué Isabelle Buckle. « Il est important d’avoir un système où les acteurs se parlent, et où ils sont reliés », a insisté Steward Cole. Isabelle Buckle souhaite également sensibiliser les chercheurs aux enjeux de passage à l’échelle, afin de développer des projets en amont capables de franchir le « canyon de la mort » ensuite, soit les premières étapes vers l’industrialisation.