Trois start-up en pointe sur la spintronique
Le PEPR sur la spintronique, cette science qui s’appuie sur le « spin » des électrons pour développer des applications électroniques plus performantes et moins consommatrices d’énergie, vient d’être lancé. Ce programme est « exploratoire », mais la recherche a déjà donné naissance à plusieurs start-up. Certaines ont rejoint le secteur de l’industrie, alors que d’autres ont tout juste vu le jour, confirmant le dynamisme de cette filière. La France compte d’ailleurs un temps d’avance dans ce domaine.
La science de la spintronique est relativement récente. Pensée dans les années 1980, elle a commencé à émerger dans les années 1990. Étonnamment, elle a très vite trouvé des applications dans le monde industriel. Les géants de l’industrie électronique se sont très rapidement emparés des promesses de la spintronique pour développer de nouvelles générations de mémoires. Les MRAM ont rapidement concurrencé les autres types de mémoires, DRAM, Flash ou SRAM. La France peut revendiquer, à juste titre, une part de responsabilité dans ces premiers succès, avec plusieurs laboratoires de référence.
Le lancement du PEPR Spintronique, en début d’année, vise à préserver l’avantage de la France dans ce domaine. Il doit aussi favoriser le développement de nouvelles collaborations avec l’industrie. Plusieurs grands groupes étaient présents lors du lancement officiel du programme, en février dernier, mais l’industrie n’est pas encore pleinement investie sur cette science. « ST Microelectronics fait partie du top 10 des fonderies dans le monde, mais c’est la seule entreprise à ne pas avoir de programme spin », rappelle Lucian Prejbeanu, codirecteur du PEPR Spin et directeur du laboratoire Spintec, pour POC Media.
Une situation qui explique les parcours de plusieurs start-up du secteur. POC Media a identifié trois start-up qui ont récemment fait parler d’elles dans la filière de la spintronique en France, et dont certaines peuvent revendiquer le titre de futures championnes tricolores.
Les géants de l’industrie électronique se sont très rapidement emparés des promesses de la spintronique pour développer de nouvelles générations de mémoires.
Golana Computing : la maintenance prédictive grâce à des « neurones magnétiques«
La start-up a été créée en 2023 par une équipe de chercheurs issus du laboratoire Spintec (CNRS/CEA). La dernière-née de la spintronique travaille sur la magnétorésistance des composants électroniques. En contrôlant mieux cet effet, la start-up entend améliorer les performances de calcul des composants électroniques. Une innovation qui doit permettre à la start-up de développer des architectures de calcul (IA) du type réseaux de neurones plus performants, proches de celle des réseaux de neurones biologiques. Un parallèle assumé par l’équipe dirigeante de la start-up. « Nous travaillons sur un concept de “’reservoir computing” (paradigme destiné à entraîner des réseaux de neurones récurrents). Ce concept reprend l’idée qu’un système physique peut traiter une information comme un réseau neuronal », expliquait, lors des Rendez-vous Carnot 2023, Mihai Miron, un des cofondateurs de l’entreprise.
Golana Computing développe actuellement des algorithmes de traitement de signal utilisant ses « neurones magnétiques », et souhaiterait intégrer ce type d’outils dans des applications industrielles. L’équipe vise explicitement des applications de maintenance prédictive pour le secteur industriel. La start-up ne part pas de zéro, et a déjà obtenu une bourse EIC de 2,5 millions d’euros en 2023 pour son projet MAG.NET (Magnetic Neural Network for Predictive Maintenance).
Spin-Ion Technologies : une nouvelle méthode de production des MRAM pour l’embarqué
La start-up est née en 2017 au sein du Centre de nanosciences et de nanotechnologie (C2N), à Palaiseau. Elle s’est elle aussi positionnée sur les mémoires MRAM. Très vite, ses travaux ont porté sur l’amélioration des performances de ces composants. Sa méthode : intervenir dans la structure des matériaux qui composent les mémoires MRAM. La start-up a conçu un procédé de transformation des matériaux à partir d’un faisceau d’ions. Ces faisceaux modifient la structure atomique des matériaux magnétiques, et ainsi les propriétés des couches magnétorésistives utilisées dans les mémoires MRAM.
Grâce au développement de ce nouveau procédé de production, la start-up booste les mémoires MRAM en termes de performances et d’efficacité énergétique. Une évolution majeure, qui permet d’imaginer l’arrivée de mémoires MRAM dans l’électronique embarquée. La start-up ne vise toutefois pas ce marché. Elle se positionne en amont de la chaîne de production, et souhaite commercialiser directement sa technologie de production auprès des fabricants de puces mémoires, facilitant ainsi l’intégration des mémoires MRAM dans ces puces.
La start-up a bénéficié d’une bourse EIC, afin de mettre au point son nouveau procédé de production à base de faisceau d’ions. Cette année, l’équipe se prépare pour une première levée en Série A, afin de financer le développement d’une première ligne pilote.
Crocus Technology : le pionnier de la spintronique devenu américain
L’entreprise, créée en 2004, est issue du laboratoire Spintec. Grâce à ses compétences en spintronique, Crocus s’est très tôt tournée vers les mémoires MRAM, avant de se focaliser sur les capteurs magnétiques. Elle s’est notamment appuyée sur sa capacité à maîtriser la « magnétorésistance à effet tunnel », un des principaux effets de la spintronique, fondé sur des principes de la physique quantique. Vers 2015, l’entreprise développe ainsi des capteurs extrêmement sensibles et à faible consommation d’énergie. Ils sont directement intégrés dans des puces et trouvent des applications dans la mesure du courant électrique, ou dans la mesure de position et vitesse.
L’entreprise lève 19 millions d’euros en 2015 auprès d’investisseurs internationaux. Depuis, Crocus Technology n’a pas quitté Grenoble – malgré son changement de pavillon – où elle occupe toujours des locaux au sein de Minatec. Elle s’est toutefois fortement développée aux États-Unis, pour mieux connaître son marché. Aboutissement logique, l’entreprise vient tout juste d’être reprise pour 420 millions de dollars par l’Américain Allegro MicroSystems, spécialiste des semi-conducteurs de puissance et de détection pour les systèmes de contrôle de mouvement et d’efficacité énergétique.