Une pénurie de valves de respirateurs évitée en une semaine
Mannequin, connecté à une arrivée de ventilation et une sonde ©I2M
Alerté début avril d’une pénurie à venir de valves de respirateurs, laboratoire bordelais I2M a réussi à former un consortium pour concevoir, tester, et préindustrialiser une nouvelle valve en un temps record. Une prouesse réalisée grâce à la richesse de l’écosystème local et au réseau Carnot ARTS auquel appartient l’I2M. Retour sur ce projet « express » qui pourrait jouer un rôle déterminant dans la sortie de crise.
Début avril, Nicolas Perry, responsable du département Ingénierie mécanique et conception de l’I2M (Ensam/CNRS/Université de bordeaux/Bordeaux INP), est approché par le CHU de Bordeaux.
L’établissement lui confie qu’il est au bord d’une pénurie : une pénurie de valves trachéales. Cette valve trachéale est un dispositif médical intégré aux respirateurs utilisés par les services de réanimation. En forme d’Y, elle permet de descendre une sonde dans la trachée du patient, pour dégager ses voies respiratoires.
Le chercheur, également à la tête du département Conception industrialisation et production de l’institut Carnot ARTS, va alors former en un temps record un consortium. Son objectif : répondre dans l’urgence à la pénurie qui se profile.
Jeudi 2 avril : pénurie en vue
La particularité de ces valves, c’est qu’elles sont closes. Cela permet de ne pas infecter le soignant via l’« aérosolisation » du virus lors du passage de la sonde. Mais comme cette fonction n’est pas indispensable pour tous les patients intubés et ventilés, les hôpitaux ne disposent pas de stocks importants.
Le jeudi 2 avril, le docteur Hoang-Nam Bui, pneumologue au CHU de Bordeaux, confirme ainsi à Nicolas Perry qu’il ne lui reste que quelques valves en stock. Chaque valve devant être changée toutes les semaines, à raison d’une par patient ventilé en réanimation, le CHU craint de ne pas tenir longtemps. « Le service de réanimation n’avait que deux options : soit il intubait les patients avec un système non clos, soit il dépouillait d’autres systèmes pour se composer un dispositif clos de respirations », explique Nicolas Perry.
L’option d’acheter des valves à l’étranger est rapidement abandonnée, aucune livraison ne pouvant être réalisée avant un mois et demi. L’équipe de Nicolas Perry propose alors de créer une valve simplifiée, close, en impression 3D, avec une étanchéité assurée par un robinet 1/4 de tour. « Il fallait dégrader le système existant en raccordant une valve au système respiratoire, tout en conservant le système ouvert/fermé », détaille Nicolas Perry.
Vendredi 3 avril : l’écosystème régional mobilisé
La « chance » de l’équipe est de posséder des compétences en santé au sein même du laboratoire, notamment en matériaux et en hygiène et sécurité, et au sein du CHU de Bordeaux. Rejoint par le centre hospitalier d’Arcachon, le petit consortium établit rapidement les plans et la maquette numérique de la valve simplifiée. Reste à trouver des partenaires qui accepteraient de produire un prototype.
Une première piste mène aux prothésistes dentaires. Ils utilisent régulièrement l’impression 3D et sont présents sur tout le territoire. « Cela s’est révélé plus compliqué que prévu, car les prothésistes finissent souvent leurs produits à la main. Or, nous avions besoin que la géométrie soit bonne tout de suite pour assurer l’étanchéité. »
L’équipe du laboratoire se tourne alors vers ses réseaux : les gadzarts (élèves et ingénieurs des Arts et Métiers, Ensam) et l’Agence de l’innovation de Nouvelle-Aquitaine (ADI). « J’ai apporté le regard filière en dispositifs médicaux », explique Suzanne Poitou, chargée de mission santé de l’ADI.
« La visioconférence a commencé à deux. […] Nous avons fini à une dizaine de participants »
Nicolas Perry
Mardi 7 avril : création d’un consortium sur Skype
Une première visioconférence est organisée avec les membres du réseau. « La visioconférence a commencé à deux. Au fur et à mesure, nous appelions les contacts dont nous parlions et ils rejoignaient la visioconférence. Nous avons fini à une dizaine de participants », se souvient Nicolas Perry.
Finalement, cinq industriels rejoignent le projet. C’est le cas de l’allemand KSB, spécialiste des robinets et des vannes, ainsi que de Cresilas, à Marmande, et DL Additive, à Mérignac, et spécialistes en impression 3D. « Les temps de production sont longs avec l’impression 3D, mais l’intérêt est qu’en un clic, l’entreprise peut remettre à jour son modèle numérique si un médecin lui demande », poursuit Nicolas Perry.
Plusieurs géométries de valves sont envisagées, avec plusieurs types de matériaux. Mercredi soir, un jeu de pièces avec plusieurs dimensions part finalement en impression, pour toute la nuit.
Jeudi 9 avril : un prototype testé en visio
Jeudi matin, un assemblage est effectué et testé en visioconférence avec les partenaires : valve monomatériaux, valve avec robinet surmoulé silicone, version pièce en injection plastique et une version alternative avec des flexibles pour optimiser les temps de production.
Nicolas Perry fait même la démonstration de l’efficacité du système en soufflant à l’intérieur : « Il fallait que le système résiste à une surpression de 0,1 barre. Le souffle humain est bien au-dessus. » Jeudi soir, les pièces prototypes assemblées sont envoyées en stérilisation au CHU de Bordeaux pour réaliser des tests sur les différents protocoles de nettoyage et de stérilisation.
Vendredi 10 avril : validation du CHU
Une semaine après la première demande du CHU, Nicolas Perry présente un premier prototype à l’établissement. L’équipe a même réussi à intégrer un spécialiste du silicone, pour améliorer l’étanchéité de la valve. Elle travaille pour finaliser une solution de surmoulage en silicone.
Une fois le prototype validé par le CHU, l’objectif est de produire 30 000 unités en urgence, 10 000 à 15 000 unités par semaine. L’évolution vers une solution en injection plastique, plus longue à industrialiser, est en préparation.
Prochaine étape : la dérogation de l’ANSM
Le consortium est pour l’instant suspendu à l’acceptation de ce dispositif médical par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La production du dispositif pourra alors commencer.
À plus long terme, le ministère estime qu’il pourrait diffuser cette invention dans les pays voisins, Espagne et Italie en tête, voire en Afrique. Le temps que cette filière industrielle éphémère se mette en place. « Un jour, nous utiliserons l’injection plastique », espère Nicolas Perry.
Pour la région Nouvelle-Aquitaine, ce projet pourrait également être le début d’un programme de plus grande ampleur : « L’idée est de pérenniser cette production d’urgence », indique Suzanne Poitou.
Par Florent Detroy