Vincent Geiger (Naval Group) : « La coopération nous permet de générer des cofinancements essentiels à nos programmes de recherche »
Confronté à une concurrence accrue à l’international, Naval Group a décidé ces dernières années de mutualiser ses programmes de recherche avec des partenaires académiques, en France et à l’international. Une nouvelle orientation que le directeur de la recherche du groupe souhaite renforcer dans les années à venir.
POC Media. Quelle place la recherche partenariale tient-elle dans le groupe ?
Vincent Geiger*. Les projets de recherche au sein de Naval Group ont longtemps été menés en interne. Nous avons pris conscience, il y a quelques années, que l’innovation se faisait de plus en plus à l’extérieur. Nous nous sommes également rendu compte qu’il fallait innover dans un grand nombre de domaines, notamment dans les programmes des SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins). Nous avons ainsi multiplié les programmes. La coopération nous permet de générer des cofinancements essentiels à nos programmes de recherche. D’autre part, ils nous donnent accès à des partenaires de haut niveau. Il a fallu également partir à l’international, car nous voulons travailler avec les meilleurs. Aujourd’hui, Naval Group mène des travaux de recherche en Australie, entre autres, et va en démarrer à Singapour et en Inde. C’était d’autant plus important de nous développer à l’international qu’à l’étranger, le modèle français, avec des opérateurs publics de recherche comme la DGA, ne fonctionne pas. À l’international, ce sont souvent des académiques qui analysent les appels d’offres.
Comment le groupe s’est-il organisé pour collaborer davantage avec le secteur académique ?
Nous avons d’abord structuré notre recherche en neuf domaines : les matériaux et structures, la mécanique des fluides, les interactions homme/machine, homme et systèmes, les systèmes numériques, le traitement des données, l’énergie et l’écoconception. Cette classification nous a permis d’être plus compréhensibles pour nos interlocuteurs extérieurs. Dans un deuxième temps, nous avons mis en place une instance de pilotage disposant d’une feuille de route spécifique pour chaque domaine de recherche. Les responsables sont ensuite chargés d’aller à la rencontre du monde académique, avec une approche davantage bottom-up, c’est-à-dire qu’ils évaluent l’avancement des projets des acteurs académiques rencontrés et le potentiel innovant de ces projets comparé aux feuilles de route. Les échanges pouvaient ensuite déboucher sur le financement d’une thèse, voire d’un prototype, d’un TRL de niveau 4.
Avez-vous ouvert tous les secteurs de recherche du groupe aux coopérations ?
Tous les secteurs sont potentiellement ouverts. Et le fait que nos projets de recherche puissent toucher à des domaines sensibles pour la Défense n’est pas nécessairement un facteur bloquant. Nos projets collaboratifs avec l’extérieur sont menés à un stade de TRL bas qui ne présume pas encore de la solution applicative. C’est également le cas à l’international. Nous discutons de ces sujets aussi bien avec des académiques qu’avec des laboratoires d’État. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut coopérer.
Vincent Geiger
« Nous envisageons d’ouvrir le laboratoire [avec l’École centrale Nantes] à d’autres thématiques, comme l’usine 4.0 »
La collaboration la plus avancée semble être celle avec l’École centrale de Nantes, avec qui vous avez créé un laboratoire conjoint. Ce partenariat va-t-il évoluer ?
Nous y menons actuellement des travaux, pour certains emblématiques. Au sein de ce laboratoire, nous travaillons sur trois thématiques : la fabrication additive, la mécanique des fluides et la simulation, et la réduction de modèles. Notre fonctionnement est simple. L’École centrale de Nantes et Naval Group financent ces projets à égalité et partagent leur propriété intellectuelle. Ce mode de collaboration est efficace, c’est pourquoi nous envisageons d’ouvrir le laboratoire à d’autres thématiques, comme l’usine 4.0. Mais nous menons également à bien d’autres partenariats. Nous participons à une chaire en cybersécurité avec l’École navale [créée également avec Thales et Telecom Bretagne]. Nous avons un laboratoire commun avec ENSTA Paristech sur l’intelligence artificielle, et nous avons noué un partenariat avec l’ENSTA Bretagne. Au niveau européen, nous participons à un projet sur les matériaux composites, et à un autre sur les architectures navales ; dans ces domaines, nous pouvons avoir jusqu’à une quarantaine de partenaires.
Comment Naval Group se prépare-t-il aux ruptures que vont entraîner certaines technologies comme la 5G ou le calcul quantique ?
Ces technologies nous intéressent, ne serait-ce que pour les thèmes de l’usine 4.0. En interne, nous commençons à monter des équipes. Elles pourront ainsi travailler sur des projets avec l’IRT B-Com [dont Naval Group est membre depuis avril]. Nous passerons ensuite à l’étape « mur de projets » qui consiste à les vendre aux BU.
Vincent Geiger
« Les simulations de soudage ont permis de diviser par deux
les phases de soudage »
Quelle est la dernière innovation créée grâce à une collaboration dont vous êtes fier ?
Nous avons récemment mis en place un projet de simulation de soudage avec l’ENSTA Bretagne. Chez Naval Group, le soudage occupe une place essentielle dans la réalisation de nos produits. La boîte à outils de simulation vise à mieux comprendre les mécanismes qui provoquent la déformation de la tôle lors du soudage. L’enjeu est donc d’améliorer la technique et le process de soudage, d’anticiper en conception les logiques d’assemblage et, in fine, de réduire significativement les phases de redressage des tôles déformées par l’opération de soudage. Nous avons testé ces simulations sur notre site de production d’Angoulême-Ruelle. Elles ont permis de diviser par deux les phases de soudage. Nous souhaitons maintenant généraliser le transfert de cette technologie à l’ensemble de nos BU. L’ENSTA Bretagne nous y aide également grâce à son soutien en matière de formation.
Biographie*. Vincent Geiger est diplômé de l’ENSTA Bretagne, et titulaire d’un DEA en électronique et traitement du signal. L’ingénieur entre à Naval Group en 1994. Il devient architecte d’ensemble des sous-marins, puis prend la tête du département architecture navale sous-marin en 2012. Il prend la tête de la division en 2014. En 2017, il est nommé à la tête de Naval Research, l’entité en charge de la recherche de Naval Group.